De l’exigence technique inhérente à la gravure, aux « cahiers d’école en passant par l’application du dessin qui s’affranchit progressivement de la feuille de papier pour glisser sur le mur ou au sol, Françoise Pétrovitch explore diverses situations du dessin. Il est posé sagement sur son médium de prédilection, le papier, déborde de son cadre ou se permet des avancées dans des domaines qui peuvent paraître éloignés, mais qui, si l’on y regarde bien, sont le prolongement en volume d’une même pensée en action. En effet, sans s’encombrer de quelconques effets de mode, l’artiste transgresse la technique dite traditionnelle du dessin en lui associant des sculptures en céramique, des bas-reliefs qui, dans des installations, s’organisent comme des prolongements de la ligne tracée. Françoise Pétrovitch a cette capacité à redéfinir le dessin comme un « familier » qui l’accompagne depuis l’enfance dans les différentes étapes de son existence et de son parcours artistique. À partir d’un creuset d’images, réminiscences du passé, un futur possible se construit à partir d’éléments qui se font écho les uns par rapport aux autres comme le fil d’une narration.
L’exposition au Centre d’art a été pensée comme une vaste installation dans laquelle les dessins du papier répondent aux muraux, qui eux-mêmes trouvent un écho face aux sculptures déposées au sol. L’espace central du Centre d’art accueille sur ses murs les dessins muraux rouges à des échelles différentes qui agrandissent (La révérence), morcellent (Assise) ou déforment le corps (En laisse). La figure féminine, presque androgyne, est déplacée dans cet étrangeté, voire une brutalité accentuée par l’emploi du rouge sang. Confrontation souvent présente dans l’ensemble de son travail. La série des Poupées renforce et assume les ambiguïtés du monde de l’enfance. Le passage, le déplacement entre deux états est sans cesse réinterrogé et remis en question. Celui du monde de l’adolescence à celui des adultes, , de la douceur à la violence, de l’humanité à l’animalité… tiraillés que nous sommes entre la construction de notre propre mythologie et l’acceptation de nos contradictions. La parole est également au cœur de la démarche de l’artiste. Déjà présente dans le projet J’ai travaillé mon comptant, elle réapparait avec le diaporama Les photos de vacances des autres n’intéressent personne, qui porte dans son titre le matériau avec lequel Françoise Pétrovitch a travaillé : des témoignages de souvenirs de vacances associés à un montage d’images, devenant ensuite le support à un dessin sur diapositives. La litanie des bribes d’histoires de chacun est lue par un narrateur, un comédien. L’exposition est l’occasion de réunir un très bel ensemble de volumes qui s’inscrivent dans le prolongement de son travail dessiné, avec le souci constant de maintenir des couleurs émaillées proches des teintes irisées ou diluées de ses lavis. Sur le sol rouge de la grande mezzanine, un environnement de quatre sculptures, Double pieds (pieds hybrides), Alice et Janus (2006), instaure une mise en abyme de l’objet face à sa représentation photographiée. Les photographies réalisées par Françoise Pétrovitch et Hervé Plumet apportent une distance à la sculpture qui est déplacée et inoffensive à première vue : les poupées, les animaux, la figure de l’enfance, puis de l’adolescence, elle interroge le passage au monde adulte et ses métamorphoses, et détourne la naïveté apparente de ses sujets avec lucidité. La cruauté, apanage de l’animalité, est renvoyée à la face de l’humanité. La dernière pièce en céramique produite, Jetés hors d’eux-mêmes (2007), prend place en suspension dans l’espace central. Ce mobile résume à lui seul la liberté que l’artiste s’autorise avec la céramique. L’éclatement, le morcellement et une multitude de pièces d’un noir profond, parsemé de quelques éclats blancs en son cœur, ramène à la rigueur du noir et blanc de l’esquisse. Des têtes d’équidés se mêlent à des formes organiques, reconnaissables ou non, comme la dislocation d’un corps composite. Il n’y a jamais qu’un seul point de vue, mais un circulation, une fluidité du regard porté de l’une à l’autre, à l’image de son travail.
Valérie Pugin