À l’image du kaléidoscope, l’œuvre de Charlotte Moth produit des combinaisons infinies d’images et des atmosphères aux couleurs multiples. L’arrangement, la composition et le dispositif sont quelques notions clés qui permettent de saisir le travail dans toute sa diversité et sa complexité. Quel que soit le médium utilisé – photographie, film ou sculpture –, les objets produits par l’artiste revendiquent rarement leur autonomie pour, au contraire, mettre en évidence le contexte dans lequel ils s’inscrivent. Ainsi défini, le cadre devient une part constituante pour la lecture et l’expérience proposées par l’artiste. On peut donc avancer que le travail de Charlotte Moth se situe bien dans l’espace, dans lequel et sur lequel elle travaille et où l’exposition est abordée à la fois comme le lieu du travail et comme une scène de représentation. L’architecture fait donc aussi l’objet d’une observation précise de sorte que ses interventions modifient et transforment son appréhension. Son projet au Parc Saint Léger se concentre particulièrement sur la conception d’une situation inclusive, sur la création d’une atmosphère qui met en jeu la relation matérielle entre le corps et les objets.
Le principe de la composition et du réarrangement à l’œuvre dans les travaux de photographie, film ou sculpture s’étend à l’exposition toute entière. Toute sa démarche souligne l’importance d’une constante recombinaison d’éléments singuliers et de leur relation les uns aux autres. Une démarche qui lui permet de questionner et de révéler les ambiguïtés des attributions d’un médium mais qui lui sert également à affirmer son intérêt pour l’impermanence et pour un processus de travail constamment ouvert.
Au fondement de sa pratique, il y a un travail photographique intitulé Travelogue. Initié en 1999 et toujours en cours, il consiste en une collection de photographies qui fonctionne un peu comme un réservoir d’idées et d’images. Ces images sont autant de souvenirs de voyage, de mémoire de projets ou d’amorces pour des travaux futurs, des sensations flottantes qui peuvent être activées dans une myriade de possibilités. Si cette collection constitue la partie immergée de son travail, il n’en est pas moins un outil conceptuel dont les éléments sont exposés lorsqu’ils interfèrent avec le développement d’un travail spécifique.
Inserts, 2015, poursuit conceptuellement le travail du Travelogue. Cette œuvre consiste en un ensemble de dix structures conçues à l’origine pour présenter un travail à partir des archives de la Tate Britain. De son observation des archives, Charlotte Moth avait proposé une chorégraphie d’images qui examinait différents aspects de l’œuvre et de la vie de Barbara Hepworth. Si le travail de l’archive a aujourd’hui disparu, il reste de ses recherches le film Filmic Sketches, 2015, où elle observe et filme l’atelier de l’artiste disparue. Un atelier qui se trouve être une ancienne école de danse, un théâtre et un cinéma utilisé par Barbara Hepworth pour étudier la mise en scène et la mise en valeur de ses sculptures. Le traitement de chacun des inserts met lui aussi en évidence l’importance du cadre, du décor, puisque chaque support est traité avec des fonds différents, ce qui fait ressortir l’attention que l’artiste porte à la présentation et à une forme de mise en scène. Aujourd’hui, aux images des archives se sont substituées les images de sa propre collection qui explorent le développement constant du Travelogue.
L’intérêt de Charlotte Moth pour la composition et la mise en scène ne s’arrête toutefois pas à la surface des images. L’importance de la structure ou du display pour la lecture des objets présentés oriente le questionnement de son travail sur l’espace. L’architecture transformée et l’atmosphère créée sont autant d’éléments constitutifs du travail. Sa manière d’utiliser la lumière, artificielle ou naturelle, ne consiste pas en un simple décor mais orchestre de façon subtile les mouvements et le regard du visiteur. C’est toujours le contexte dans lequel un objet est lu qui est mis en évidence par Charlotte Moth. De cette manière, elle assume pleinement la part de théâtralité que son travail véhicule et fait de la présentation et par extension de l’exposition une expérience immersive et créatrice de subjectivité. C’est aussi une manière de relever son intérêt pour la latence et l’impermanence en proposant un espace ouvert de possibilités où la constellation des objets est à chaque fois rejouée dans des espaces aux luminosités changeantes et pourtant unifiés.
Catherine Pavlovic