L’univers de Dae Jin Choi utilise des images qui frappent notre imagination. Il est percutant, voire détonant. Peuplé de jouets modélisés et d’objets récupérés, cet univers se construit au moyen d’icônes ou de symboles forts. De quoi nous parle t-il ? Du monde actuel, des formes du pouvoir, de l’économie mondiale et mondialisée. Le vocabulaire plastique de Dae Jin Choi est toujours équivoque et se prête à différentes lectures. Agissant souvent comme dans une sorte d’urgence, ses œuvres sont visuellement très crues et directes, rarement abstraites. Elles prennent forme à partir de dessins qu’il réalise toujours dans cette même urgence ou dans une spontanéité qu’il affectionne. Manière de regarder autour de lui, de capter des situations, de glaner des histoires du quotidien, Dae Jin dessine lorsqu’il prend le métro, lorsqu’il est au café, il dessine un peu tout le temps. Cette pratique, compulsive et mécanique, prend même parfois un caractère performatif et les dessins deviennent alors un récit autobiographique sous tension.
Pour l’exposition à Dornes, Dae Jin Choi a choisi de montrer trois ensembles de pièces qui fonctionnent de manière autonome. L’indice d’un élément fédérateur peut être lu dans le titre de l’exposition « Temporary States » ou États Temporaires en français. L’artiste nous parle de cette situation intermédiaire où les choses semblent flotter avant de basculer complètement. Sur deux tables-socles, des rouleaux de papier hygiénique sont accumulés de façon à peu près ordonnée. Ces deux imposantes sculptures nous font d’abord rire tant elles sont dans le registre du burlesque. Elles revendiquent pourtant leur précarité : le matériau qui les constitue représente ce qui a le moins de valeur dans notre vie du quotidien, le déchet voire le dégoûtant. Voué à se dérouler jusqu’à extinction, le mince papier, même pas recyclé (ce qui apporterait peut-être une valeur ajoutée), renvoie à l’idée d’une chose extrêmement éphémère. Si le visiteur s’approche, s’il prête attention au détail, il remarque une inscription sur chacun des rouleaux, gravée dans la matière du papier. Il lit MOMA puis TATE… le nom de deux institutions prestigieuses du monde de l’art moderne et contemporain. Deux monuments de la scène artistique internationale. C’est ce qu’ils représentent justement en termes de prestige et de richesses qui se trouvent mis en danger : et si tout cela était aussi éphémère et fragile qu’un pauvre papier hygiénique ? A travers cette image du déroulable jusqu’à épuisement, c’est l’art comme objet de consommation qui est mis en cause. Les objets dérivés des grands musées ne donnent-ils pas cette image de l’art consommable ? Dae Jin repose ainsi l’éternelle question de la fin de l’art qui depuis Malevitch et Rodchenko en passant par Duchamp et tant d’autres, nous obsède.
Posée au sol, une grande boule de verre est accrochée au bout d’une chaine qui serpente. La boule est remplie à moitié d’un liquide noir profond et visqueux. L’image du boulet de prisonnier percute celle de notre asservissement à l’énergie pétrolière. A moitié pleine ou à moitié vide, c’est un état temporaire de la planète Terre qui est figuré par cette boule de verre très fragile. Une Terre en crise, environnementale et financière pour laquelle nous pouvons soit espérer ou abdiquer, selon notre vision du monde.
La grande chute d’eau d’Iguazù qui déferle sur les murs, troisième élément de l’exposition, balayera peut-être tout sur son passage tel un tsunami. Ou bien la ligne d’horizon tracée par la falaise laissera entrevoir une perspective d’évasion possible ?