Romain Vicari arpente, explore et fouille incessamment des territoires urbains, abandonnés, en friche ou en chantier. Méthodiquement, il les observe, les étudie et en prélève des fragments. Il aborde avec curiosité les traces d’une industrie et d’un espace en transition urbaine, pour en tirer des vestiges matériels qu’il envisage comme des artefacts. Qu’il intervienne directement sur les lieux ou qu’il recrée une topographie entre les murs d’une salle d’exposition, les matériaux utilisés sont réminiscents de ces espaces et des pratiques qui s’y rattachent, entre métiers du bâtiment et street art : résine, peinture en bombe, plâtre, béton, armatures de métal, résidus de chantier, rebuts urbains…
Déplaçant des recherches sculpturales initiées dans le contexte de la rue ou du chantier dans celui, plus clos et plus lisse, de l’espace d’exposition, Romain Vicari crée des installations monumentales et colorées qui viennent remettre en question notre perception des espaces et en révèle le caractère transitoire et en mutation. En effet, l’usage de paravents imposants ou de formes plus discrètes parcourant l’espace modifie les perspectives et dessine les reliefs de ruines urbaines. Cette forme de simulacre décontextualisé pose aussi la question du sens : réalisées à partir de ces éléments transformés, combinés et détournés, les productions revêtent un caractère différent, leur signification devient plus floue et elles atteignent presque une dimension décorative par la mise en scène des éléments.
Romain Vicari crée un décalage d’autant plus fort en investissant, par ces installations au caractère résolument urbain, l’espace de la galerie du Collège Le Rimorin de Dornes, situé en zone rurale. Le lieu lui-même témoigne d’une décontextualisation, apparaissant en effet, par sa forme ou son usage, tour à tour comme gymnase, hangar, lieu d’exposition ou salle de classe. Pour « My Third Eye » Romain Vicari s’en empare, littéralement en prélevant des fragments du sol, de façon figurée en donnant à cet espace de nouvelles dimensions, à la fois urbaines, spéculatives et même mystiques. De ses origines brésiliennes, Romain Vicari a hérité d’une propension à l’appropriation culturelle. L’artiste réalise une digestion entre histoire de l’art et espace urbain comme témoin de notre civilisation, qu’il envisage par le prisme de références littéraires, scientifiques ou philosophiques. Le troisième œil évoqué par le titre fait référence au chamanisme, encore très présent chez les indiens amazoniens, et suppose une ouverture et une prise de conscience accrue de l’environnement direct et des interactions possibles. Il colore l’exposition d’une dimension introspective et psychédélique, tout en établissant une forme possible de perception des chamans du futur sur les ruines d’une civilisation industrielle, laissées par une humanité partie coloniser un ailleurs cosmique. L’artiste propose alors un monde vu par le spectre de son troisième œil, invitant le spectateur à s’ouvrir lui aussi pour recevoir cette proposition artistique et ainsi déambuler entre serpents de plumes, paravents, tableaux et autres œuvres en suspension.