«TECH SENSE ORNAMENT», dernière séquence de l’arborescence TAFAA élaborée par Chloé Delarue (née en 1986 au Chesnay, installée à Genève) vient clore une série de trois expositions présentées cette année dans le cadre de la programmation hors les murs du Parc Saint Léger1. Faisant à la fois office de matrice esthétique et de support de recherche privilégié, le rapport aux nouvelles technologies en aura constitué une sorte de fil rouge mouvant et sinueux, s’adaptant aux pluralités d’usages et d’analyses que les artistes lui projettent.
Cette invitation formulée à Chloé Delarue trouve son origine dans
le caractère prospectif que génèrent ses installations : mélange de matériel technique (écrans, néons, circuits imprimés…) et d’éléments organiques (plantes, latex, sécrétions…), elles se déploient en plateformes d’activités hybrides et autonomes, catalysant une multitude de récits potentiels. Sous l’acronyme TAFAA, sont ainsi reliées un ensemble d’hypothèses nourries de sciences et de fictions, de théories anticipatrices et d’angoisses surgies des tréfonds de la société contemporaine. La mise en commun de ces différentes influences octroie à ces environnements un aspect déliquescent, lesquels semblent peuplés de machines technico-organiques comme anémiques ou avariées.
Bien que la métaphore du laboratoire puisse naturellement apparaître pour certains travaux de Chloé Delarue, il convient d’en signaler la nature fréquemment polluée, ainsi que les symptômes de contamination qui semble se propager à l’intérieur même des écosystèmes qu’elle engendre. Des effets d’altération biologique viennent s’agréger à la surface lisse et luminescente des outils de communication, aux gaines enveloppant les tresses de câbles circulant entre les différents objets. Les dispositifs lumineux gent cet état de métamorphose en même temps qu’ils affectent les éléments qui composent ses installations, qui dès lors apparaissent comme les simulations grandeur nature d’expériences obscures ou d’ateliers clandestins recyclant les ornements de notre civilisation numérique.
Avec « TECH SENSE ORNAMENT » – dont le titre résonne, comme à chaque occurrence de TAFAA, tel un nom de code donné à un projet développé dans les souterrains de notre mémoire collective –, Chloé Delarue élabore une séquence mêlant de multiples strates temporelles réelles ou simulées. L’agent d’infiltration Solid Snake, personnage principal des jeux-vidéos Metal Gear2, y occupe une position centrale : figure archétypale ayant pour particularité d’avoir été créé par assemblage génétique, Snake sert de point de départ à la mise en place d’une entreprise de production d’anomalies faciales dupliquant son apparence. Une série d’ornementations évoquant les « gueules cassées »3 y est alors produite : elles sont autant de variations de prothèses permettant l’anonymisation temporaire d’un individu. Allusion à peine voilée à la société de la reconnaissance permanente, l’exposition érige sous nos yeux la dégénérescence de ce projet inquisiteur.
Franck Balland