EXPOSITION
DU 8 JUIL. AU 14 NOV. 2010

Things We Do

Ali Kazma

Centre archéologique de Bibracte

La gastronomie est un monde en soi : exigeant, précis, contraint par les règles de l’art qui ne demandent qu’à toujours être surpassées. A sa manière, le vidéaste Ali Kazma infiltre les cuisines d’une grande maison hôtelière du Morvan, le Relais Bernard Loiseau, pour en dévoiler les mécanismes, les rouages, voire même quelques secrets. Le métier fascine et intrigue puisqu’il touche à la sublimation de produits du quotidien. Jeunes légumes et pousses d’herbes en potager, bouillon gourmand, nectars de tomates et de petits pois…Côte de veau en cocotte, belle carotte fondante et oignons des Cévennes, à la moutarde aux feuilles de coriandre et à l’orange confite «Edmond Fallot»… Délicate pensée de fraises des bois au citron vert et au patchouli, biscuit sablé et croustillant de fraise, mousseux à l’eucalyptus…

Cela s’écoute inévitablement comme une sorte de poésie. Dans les images d’Ali Kazma, couleurs, légèreté des substances et finesse des compositions sont mises en valeur pour traduire ce ravissement. Mais ce que révèle l’œuvre de l’artiste se joue d’abord dans l’imperceptible tension du geste juste et irrévocable, puis dans la cadence des rythmes minutés, enfin dans cette sorte de violence renvoyée par le tintement des instruments, le tranchant des lames, la chaleur des fours et la froide réflexion des surfaces d’aluminium.
Patrick Bertron, aux commandes de l’équipe des cuisines du Relais Bernard Loiseau, succède à une personnalité mythique et perpétue une histoire. Il incarne une grande cuisine française traditionnelle additionnée d’une moderne inventivité. Le regard que porte Ali Kazma sur le travail du grand chef s’attache à traduire comment le génie réside d’abord et avant tout dans la capacité à transformer une matière première simple et crue en une composition et une alchimie gustative qui relèvent quasiment de la magie.

La série Obstructions, dans laquelle s’inscrit la nouvelle vidéo réalisée au Relais Bernard Loiseau, questionne les conditions de travail de l’homme, qu’elles soient artisanales ou industrielles. La méthode de tournage de l’artiste est très proche des images qu’il réalise. Silencieux, il observe ce qui se déroule autour de lui, devenant comme un fantôme au sein du lieu de travail. Il passe au crible de l’appareil photo les successions de gestes et cela constitue déjà une amorce de l’image en mouvement. On pourrait dire qu’Ali Kazma travaille à la manière d’un sculpteur tant il décortique la vision et réussit à tourner autour du sujet filmé. On pense également au travail du chorégraphe lorsque se succèdent les gestes et les rythmes dans une composition orchestrée par le montage. Il travaille toujours seul, sans équipe de tournage jusqu’à la réalisation finale.

Quatre vidéos de la série Obstructions – qui en comporte douze au total – sont montrées sur des écrans plats au sein des collections du Musée de Bibracte : Clock Master (2006) montre les gestes lents et précis d’un horloger, Ceramist studio (2007) s’intéresse aux gestes immémoriaux du modelage de la terre, tandis que Jeans Factory (2008) et Household Goods Factory (2008) sont consacrés aux usines de montage et au travail en série. Le parti-pris est d’intégrer ces postures liées aux métiers et à l’industrie contemporains parmi les collections archéologiques du musée, créant ainsi aussi bien les conditions d’une rencontre que celles d’une confrontation. La nouvelle vidéo réalisée au Relais Bernard Loiseau viendra compléter cette présentation dès le 8 juillet.

Isabelle Reiher