Aurélie Godard et Chloé Dugit-Gros pratiquent la sculpture. Lorsqu’elles décident de travailler ensemble, la confrontation de deux univers respectifs et singuliers révèle une vraie résistance, sensible dans la tension que les diverses pièces de l’installation suscitent.

Cette installation, résultat d’une rencontre programmée, s’intitule      « Introduction à la nouvelle méthode ». C’est dans le cadre de leur résidence au Parc Saint Léger, Centre d’art contemporain, qu’elles élaborent le projet d’une nouvelle définition de leur pratique qui trouve sens dans la remise en cause de certitudes personnelles et dans l’envie de mettre à l’épreuve leurs habitudes de travail.

On peut imaginer que la méthode adoptée procède de l’archéologie : fouiller un périmètre géographique donné – celui de Pougues-les-Eaux et des alentours – puis procéder à des relevés selon différents paramètres : topographiques, architecturaux, performatifs. Chacune des deux artistes a ainsi réalisé sa propre carte du territoire. Aurélie Godard relève les taches du sol de son atelier dessinant des géographies potentielles. Chloé Dugit-Gros, plus brutalement, froisse puis bombe le papier pour créer le volume à la façon d’une carte IGN thermoformée. La méthode fonctionne ensuite par récurrence : le relevé photographique d’architecture se transforme au sein de l’installation en une maquette réduite qui cohabite avec un certain nombre de motifs « pris sur le vif » dans le décor périurbain. La performance comme expérience du paysage, se prolonge dans l’installation par la transformation des objets ayant servi à l’action. Ainsi, le tremplin qui permet le saut périlleux au dessus du tas de fumier devient le socle de l’abribus version nouvelle méthode, logo à l’appui. Tout est visible et contenu dans tout.

Il faut bien dire que proposer une tautologie en réunissant deux univers différents comporte des risques : il s’agit bien d’une initiation. Arriver au final à ne pas savoir détecter qui a réalisé quoi est certainement un indice de réussite sur les plans formel et sémantique. Les deux vocabulaires se rencontrent aux points de jonction justes.

Celui d’Aurélie Godard décortique les codes de l’architecture et du design en inventant des formes hybrides : cratères, excroissances ou coulures de murs et de plafonds qui semblent fondre et se liquéfier ( Mille milliards de degrés, 2006). Agissant parfois comme empreinte d’un événement accidentel, créé de toutes pièces (The bright side of the moon, 2006, Archipel, 2005, Casual events, 2005), la sculpture d’Aurélie Godard peut aussi s’organiser de manière plus construite, comme autant de morceaux d’un puzzle en trois dimensions (L’heure de l’étale, 2007). Une table devient ainsi l’assiette d’une maquette de zone pavillonnaire, ensemble architecturé de manière utopique, dont chaque élément encastrable traduit un langage codifié (Pavillon, Aubervilliers, 2009).

Chez Chloé Dugit-Gros, l’articulation du langage s’opère plutôt au niveau de l’image et du signal visuel. Se référant souvent aux codes des cultures urbaines, ses réalisations procèdent par rapprochement d’élements formels pour composer une esquisse de narration. En s’inspirant parfois d’archives journalistiques, les sculptures de Chloé Dugit-Gros portent les stigmates d’une action survenue (What a blast!, ENSBA Paris, 2006) ou transposent une simple photographie de garçonnet en un inquiétant tableau noir jouant des contrastes des matériaux et des échelles (Sans titre, 2008, d’après une photo de José Girao, 1980). Les petits croquis dénotent bien le processus qui doit conduire à l’achèvement des pièces, petit abécédaire de l’artiste qui revient régulièrement pour compléter la cohérence du système d’installation.

Enfin, comme un fil rouge traversant le travail, le S américain qui accompagne presque toutes les expositions de Chloé Dugit-Gros, représente en quelque sorte le geste marquant la liberté de l’artiste sans atelier. A la façon des drapeaux ou des cibles d’un Jasper Jonhs, version contemporaine, ce symbole de la culture hip hop adolescente est découpé dans des supports de travail, table d’atelier, matériaux recyclés…

Ces deux univers rassemblés nous transportent dans une nouvelle méthode particulièrement heureuse et féconde. Source de multiples nouvelles pistes de travail pour les deux artistes, l’amalgame que produit cette rencontre ne nuit aucunement à la lisibilité et à la qualité de la proposition et procure même l’irrésistible envie d’assister à la deuxième partie du match Godard/Dugit-Gros.