de mars à juin 2008
RÉSIDENCE SECONDAIRE
Elsa Tomkowiak
“Elsa Tomkowiak entretient avec la couleur un rapport passionnel qui implique son propre corps – vêtements, maquillage – la pratique de la peinture et bien au-delà, une projection dans les espaces environnementaux, qu’ils soient architecturaux ou naturels. Elle réinvente ses agencements chromatiques, au mépris de tous les dogmes et de tous les traités que l’on a cru bon d’instaurer au fil des âges. Elle recrée elle-même ses codes pour atteindre les harmonies et les dysharmonies qui lui sont propres. Ses modes de création excèdent largement la pratique du tableau, de la peinture, de la sculpture. Tous les médiums possibles sont convoqués pour restructurer un espace par la couleur. Mais quelle que soit la nature du support qu’elle emprunte, c’est ce qu’elle définit elle-même comme la strate qui constitue prioritairement son moyen de composition. C’est en effet par l’accumulation de surfaces planes qu’elle crée ses volumes. La composition colorée est ainsi réalisée par successions d’aplats. Technique que l’on pourrait rapprocher de celle du peintre qui enduit au couteau la surface d’un tableau par placages successifs. Mais justement, Elsa Tomkowiak refuse l’illusionnisme du tableau. Il lui faut vraiment, concrètement avancer dans l’espace. Le terme de strate s’apparente au domaine de la tectonique, avec ce que cette idée comporte de chaotique et de dynamique à la fois. La strate lui permet de composer physiquement dans le vide, comme les ondes successives d’une improvisation musicale finissent par faire corps. Le volume, proliférant à la manière des madrépores, semble s’auto constituer, se concrétise et se densifie tout en se déployant. Ce mode de progression par couches et scansions impulse dans l’oeuvre une qualité rythmique qui s’associe au jeu chromatique. Si l’artiste est le plus souvent attirée par les lieux en déréliction, c’est parce qu’ils constituent des aires dans lesquelles la couleur peut s’expanser hors de toute contrainte formelle et fusionner avec leur désordre, dans une saine et salutaire exubérance qui leur réinsuffle la vie. Mais c’est aussi pour mettre en prise directe la peinture – comprise indissociablement comme projection mentale et dépense physique – et la réalité tangible et prosaïque dans laquelle nous évoluons. Mettre en phase l’art et le réel. L’activité créatrice d’Elsa Tomkowiak est tendue par une pulsion vitale. Dans tous ses travaux on ne peut qu’être impressionné par l’ampleur qu’elle donne à son propos et à ses réalisations. Au printemps 2004, c’est dans les Alpes, sur les pentes enneigées des hauteurs de Samoëns qu’elle peint à même la neige, sur des centaines de mètres. A Lyon, en 2006, elle investit une friche industrielle. En intervenant sur les murs et dans l’espace avec de grandes feuilles de polyéthylène, elle crée là un environnement pictural pénétrable de plus de 1800 m2 dans lequel les visiteurs peuvent circuler à bicyclette. Tous ses projets d’ateliers, dessins et oeuvres sur supports autonomes (les derniers travaux sur papier impliquent la pratique mixte de la photographie et de la peinture) sont porteurs de ce désir d’expansion et d’effusion de la couleur dans l’environnement. On la voit gagner les superstructures, envahir les arrière-plans, se propager dans la ruine ou le paysage qu’elle requalifie. Si l’artiste est douée d’une énergie hors du commun ce n’est pas par goût de l’exploit, mais parce que le travail doit être à la mesure des espaces à transformer et que justement, pour elle, la couleur est de l’énergie pure.”
Hubert Besacier