Le Parc Saint Léger est heureux d’inviter l’artiste suisse Fabian Marti pour sa première exposition monographique en France. À cette occasion, Fabian Marti utilise littéralement le Centre d’art comme lieu de résidence et de production puisqu’il y installe une chambre noire dans laquelle sera réalisée une série de photogrammes inédits qui constituera le cœur du projet. Au terme de la phase de production, l’atelier se transformera en une installation et en un lieu d’exposition, relevant les qualités de l’artiste à mettre en scène ses propres travaux. Si ses œuvres et ses expositions sont séduisantes et provoquent une vraie jouissance visuelle, elles font aussi entendre un véritable scepticisme. Au titre, « J’ai dit : tais- toi accélérationniste ! », de donner le ton. D’emblée, l’artiste nous invective. Il nous donne à entendre une forme d’intensité qui pourrait être le thème principal de son travail tout en exprimant le doute de sa viabilité.
Fabian Marti produit des images par toutes sortes de procédés d’enregistrement. Qu’elles trouvent leur origine sous forme analogique ou numérique, ses images sont retouchées, manipulées, scannées, en prenant soin de laisser visibles les altérations apportées à l’image originale et de laisser les traces de ces interventions. Les motifs utilisés relèvent aussi bien de l’histoire de l’art que de l’histoire des civilisations ou de l’art populaire et semblent former un code assez mystérieux. Fabian Marti porte un vif intérêt aux artistes des avant-gardes, en particulier pour leur capacité à aller chercher du côté des sciences, de la littérature ou de la psychologie. Leurs travaux nous renvoient à un moment où les recherches avaient pour but de sonder la perception et les phénomènes mentaux, mais aussi les mystères de notre subconscient.
Il évoque, par exemple, un intérêt pour l’orphisme, qui voyait dans l’art une manière d’accéder à une plus grande conscience du monde. Ce mouvement artistique avance la théorie selon laquelle le monde serait régi par les lois universelles de la géométrie et que, par conséquent, l’art abstrait aurait le pouvoir d’accroître la conscience. L’image devient l’outil qui permet de révéler une réalité cachée ou des mystères supranaturels. Les motifs abstraits ou parfois ésotériques de Fabian Marti nous renvoient à des champs de recherche aussi variés que le mysticisme, l’occultisme ou la culture beatnik, qui cherchait une augmentation de la conscience et des possibilités d’intégrer des formes de spiritualité. On peut penser à l’artiste californien Wallace Berman (1926-1976) qui, avec ses verifax, prenait acte d’un défilement infini des images et voyait l’art comme une plaque sensible – un exercice spirituel de réception et de transmission du monde visant à banaliser le sacré et à sacraliser le quotidien. Plus explicitement, Fabian Marti convoque l’auteur américain Terence McKenna (1946-2000) pour ses théories sur le chamanisme, les psychotropes et sur leur rôle dans la société.
Fabian Marti nous interroge sur la façon de considérer ces questions alors qu’elles sont constamment remises en scène dans une forme de mise en abyme. L’art peut-il encore parler de sacré ou de conscience ou n’est-il que le résultat d’une opération de pillage et d’altération infinis? Bien que Fabian Marti prenne soin de toujours laisser une trace, une empreinte sur ses œuvres, de donner à voir une activité puissante, le processus d’incorporation et de récupération est toujours l’endroit d’une dépossession, d’une remise en question de tout et de rien.
Et c’est là que le titre résonne avec justesse. « J’ai dit : tais-toi accélérationniste ! » nous conduit vers les profondeurs du scepticisme et vers une nouvelle mise en abyme où tout devient relatif. Fabian Marti peut être vu comme un véritable sceptique, un éternel chercheur qui n’est pas contre la science et le savoir, mais qui est solidaire du développement de la physique et de la perception. Une recherche qui l’amène aussi à s’interroger sur un mouvement ou plutôt sur une constellation de pensées qui voit dans l’accélération des technologies, du progrès, une manière de changer le monde non pas par la transformation ou la révolution, mais par l’implosion.
Catherine Pavlovic