La possibilité d’un prolongement illimité de la vie, dont s’est largement nourri l’imaginaire de science fiction, semble aujourd’hui étayée par les récents avancements en matière de biologie moléculaire. La découverte des cellules souches rendrait en effet possible la régénération des tous les organes, et ainsi un allongement conséquent de nos fonctions vitales. Pour Laura Gozlan, invitée à développer un projet d’exposition pour le collège Maurice Genevoix de Decize, les scénarios envisagés par le progrès scientifique feraient ressurgir des symétries entre l’avenir de l’homme post-humain et les mythologies anciennes. Le rêve post-humaniste est moins novateur qu’il ne le paraît car la vie éternelle constitue un fantasme ancestral qui a toujours hanté l’esprit humain depuis l’Antiquité. Vitalium interroge ces liens latents entre progrès technoscientifique et sa partie irrationnelle généralement refoulée liée au rêve très ancien d’immortalité. Ainsi par exemple, les formes d’ingénierie qui investissent le corps de l’homme post-humain présentent bien des analogies avec le processus de momification destiné aux pharaons dans l’Egypte ancienne. Laura Gozlan pointe combien à y regarder de près cette vieillesse prolongée que nous promettent les sciences du XXI siècle (confinant au zombisme ou à une forme de semi-vie embryonnaire proche de celle imaginée par Philip K. Dick dans son roman Ubik) rappelle l’univers esthétique des momies ou des hommes des tourbières[1]. Mais il n’est pas seulement question d’un rapprochement visuel car, pour l’artiste, l’analogie demeure également au niveau socio-politique : le champs de possibilités ouvert par les nouvelles technologies donnerait lieu à un type de hiérarchie sociale proche de celle en vigueur dans l’Egypte ancienne où la vie éternelle était garantie, par le processus de momification, exclusivement aux pharaons et aux nobles. Ainsi, dans l’ère actuelle, l’accès aux soins de prolongement de la vie aggraverait les disparités entre puissants et riches d’une part et le « commun des mortels » de l’autre.
L’installation conçue pour le collège Maurice Genevoix se déploie dans l’espace comme une sorte de corps démembré. Le cœur est constitué d’une structure architecturale au croisement entre le Movie-Drome de Stan VanDerBeek, dôme géodésique qui servait de scène expérimentale de projection cinématographique, et le caisson d’isolation sensorielle imaginé, dans les mêmes années 1960, par John C. Lilly, un des représentants de la contre-culture californienne, afin d’étudier les potentialités de la conscience humaine. Toutefois, si l’artiste ne cache pas ses références, l’environnement auquel elle donne naissance est loin des préoccupations des deux pionniers américains. Espace enveloppant et protégé, où les adolescents peuvent se réunir en échappant aux regards extérieurs, il évoque davantage un lieu de rite de passage et de métamorphose, à l’instar de la forme d’une chrysalide, ce stade intermédiaire de la vie des papillons entre la larve et l’imago. Le thème du changement des états, central dans tout le travail de l’artiste, devient ici l’objet principal de l’installation tout comme de la vidéo qui est projetée en diffraction à l’intérieur de la structure. Entremêlant des images d’archives scientifiques, de documentaires d’archéologie ainsi que des extraits tournés avec les élèves, la vidéo échappe à toute logique narrative. La métamorphose liée à la vieillesse aussi bien qu’à l’adolescence est ici interrogée à l’aune du progrès scientifique et des modifications programmées qui semblent faire de ces deux états de la vie des modèles désormais obsolètes.
[1] Des êtres humains mort dont les restes momifiés ont été conservés dans une tourbière du nord de l’Europe (Scandinavie, îles Britanniques notamment). À la différence de la plupart des cadavres aussi anciens les cadavres des tourbières présentent des échantillons de peau et d’organes internes très bien conservés : sous certaines conditions, l’acidité de l’eau, le froid et l’absence d’oxygène concourent à dessécher et tanner naturellement la peau des cadavres.
Elena Cardin