12 aventures, autant de vidéos, une petite quinzaine de bouteilles, un volume encombrant de matériel d’expédition, des bricoles ramenées de Busan ou du Tarn, quelques photos que vous pourrez prendre en souvenir… À l’instar d’Hercule et de ses travaux, il est fort à parier que Laurent Tixador et Abraham Poincheval vont rentrer de plein pied dans notre mythologie contemporaine avec cette exposition “rétrospective” au Centre d’art du Parc Saint léger.
Sauf que chez nos deux aventuriers, il ne s’agit pas de rapporter la ceinture d’Hyppolite (encore que*), ni même de tuer l’hydre de Lerne (ça se discute**), encore moins de descendre aux enfers (là je proteste***). Non, leur odyssée à eux est travestie, déviante, et leur rétrospective une déconstruction des codes du genre. Et quelle meilleure preuve de ce que j’avance que le titre même de l’exposition.
Verdun, drôle de titre pour une exposition. Un mot qui claque, qui sonne dur, qui charrie derrière lui tout un ensemble d’images anxiogènes. Verdun, le lieu du conflit par excellence, cette zone hostile où l’homme a dû s’acclimater aux aberrantes stratégies militaires des généraux. Substituer l’idée de “rétrospective” (sûrement une idée de commissaire) à ce mot-valise, avec tout ce qu’il symbolise dans l’inconscient collectif français, voilà bien un des tours de passe-passe dont les Tixador / Poincheval sont passés maîtres. Un tour de passe-passe d’autant plus étonnant que les exégèses de ce duo insistent parfois plus sur l’aspect parodique et burlesque de leurs aventures. La scénographie imaginée par le duo au Centre d’art du Parc Saint Léger apporte à ce sujet un éclairage me semble-t-il passionnant. La mise en espace d’objets abandonnés par la logique qui leur donnait cohésion et sens dans chacune des aventures, comme autant de champ de ruines ou champ de batailles, l’accumulation des vidéos sur un même plan créant un brouillage tout autant visuel que sonore, la présentation d’une collection d’objets comme à la maison… Tous ces dispositifs sont agencés pour parvenir au centre de l’espace tout aussi bien qu’au centre de leur pratique, au cœur de l’espace mental.Cette accumulation crée une étonnante compression temporelle, psychique et physique (Poincheval parle à ce sujet de “trou noir”), entre entropie et absorption, qui met en correspondance plusieurs espaces mentaux condensés en une seule unité et livre in fine une structure émergente finale, une nouvelle relation vitale, une histoire qui s’écrit à quatre mains et en plusieurs chapitres. Et c’est peut-être là, au cœur de cet espace mental, que se situe la moelle épinière de leur travail et la résolution de cet apparent paradoxe, entre une analyse burlesque et une autre, plus sombre et plus intériorisée. Le travail de Laurent Tixador et Abraham Poincheval fonctionnerait à la manière d’un leurre, au sens militaire du terme, c’est-à-dire à la manière d’un système de contre-mesure utilisée comme autodéfense. Une contre-mesure tout autant physique que psychologique et sociale, qui, par le biais de l’absurde parfois, de l’inadéquation à l’environnement plus sûrement, tendrait à nous mettre au coeur d’une incroyable expérience de la liberté, mettant en jeu un corps en action et un esprit en alerte, bel et bien vivant.
Sandra Patron
Commissaire de l’exposition