Avec Les eaux courantes, Yann Sérandour présente pour la première fois un ensemble conséquent des recherches artistiques qu’il mène depuis une dizaine d’années. Toutefois, l’exposition n’est pas pensée comme un regard dans le rétroviseur, mais plutôt comme la mise en évidence d’un processus d’appropriation ludique, d’un travail d’écriture créative qui se rejoue dans des dispositifs renouvelés.
Yann Sérandour opère un peu à la manière d’un historien dont les enquêtes tentent de donner un sens à une succession de faits, avec la bibliothèque comme lieu d’émergence des projets. Il explore la bibliothèque en procédant par prélèvement ou par insertion, en se glissant aussi dans les marges et les interstices pour y développer ses propres histoires. Ses méthodes d’investigation et les objets plastiques qui en résultent démontrent son goût pour la recherche, mais surtout ils sont le prétexte pour étudier la nature réflexive de l’art, ainsi que sa transmission.
Le travail de Yann Sérandour se situe d’abord dans une approche d’appropriation des figures de l’art conceptuel. Ce courant artistique apparu dans les années 1960 voit émerger une nouvelle figure d’artiste qui s’intéresse davantage aux paramètres de la création qu’à la production d’objets finis. En outre, il prend en charge le commentaire et la diffusion de son travail avec la publication de revues et éditions, tout en interrogeant les institutions et les lieux d’expositions. S’ancrant dans ce courant historique, Yann Sérandour reconsidère l’essai iconique de Brian O’Doherty, Inside the White Cube, pour réaliser deux éditions. L’une, traitée de manière quelque peu tautologique, consiste à reprendre le format carré de la première édition augmentée du texte, pour encarter le nombre d’exemplaires nécessaire à former un cube blanc, ce qui abouti à Inside the White Cube (Expanded Edition), 2008. L’autre, Inside the White Cube. Edition fantôme, 2009, considère l’essai traduit en français, White Cube. L’espace de la galerie et son idéologie, comme un palimpseste où les feuilles d’impression du texte porte en surimpression les oeuvres et les commentaires de Yann Sérandour, intégrant ainsi deux temporalités différentes. On retrouve aussi ce jeu de déplacement des documents existants dans une nouvelle configuration avec l’œuvre Bibliographie, 2011, qui reprend un ensemble de monographies de François Morellet pour construire une ligne continue qui les lient les unes aux autres.
Si l’oeuvre Framing and Being Framed, 2011 fonctionne sur ce même mode du déplacement en convoquant un catalogue de Hans Haacke de 1975, sa place dans l’exposition lui confère une fonction de cartel qui ouvre sur ses recherches en marge de l’histoire de l’art. Ainsi, l’oeuvre nous introduit à l’intérêt de l’artiste pour la cynologie, qui regroupe les manières de produire, stabiliser et classer les multiples races de chien en conformité avec les prescriptions d’un standard officiel. A partir de cette technique, Yann Sérandour réalise une série, Beepie’s Friends, 2017, autant de tableaux qui prolongent une édition des années 1990 sur des races de chiens spécifiques aux dimensions de l’animal représenté. Une œuvre emblématique de son attachement pour des sources précises, mais qui ouvre sur l’idée de domestication et de contraintes liées à la transmission du savoir. Cette idée se retrouve aussi dans ses toutes dernières recherches sur le roseau commun. Si ses objets plastiques sont toujours une création de circonstance ou le résultat d’un champ de recherche spécifique, ils sont moins de simples déplacements que des éléments inscrits dans des mises en scènes précises qui génèrent de nouvelles constellations. Ce principe de travail – prélèvement, insertion, mise en scène – est appliqué à l’ensemble des oeuvres exposées pour créer autant de relations et d’histoires nouvelles.