Chers lecteurs,
Je ne sais pas encore ce que je vais faire pour cette performance, parler je pense, faire ce qui s’apparente le plus pour moi à de la performance, l’improvisation et la présence.
« Writers have no body », un type a dit ça ce matin à la radio au moment où je l’ai allumée « Les écrivains n’ont pas de corps », et je me suis demandée s’il parlait d’une forme d’oubli en tout cas d’inactivité du corps lié au travail qu’est l’écriture ou de cette disparition de l’auteur qui, s’il est romancier à plus forte raison, change de corps, quasiment d’identité, pour mieux créer son personnage et son propre territoire. Je me suis aussi demandée si la volonté pouvait avoir quelque chose à faire avec cette déclaration, si elle pouvait donc être un manifeste, une attitude d’écrivain consistant à refuser toute présence physique, médiatique, toute lecture, sorte d’anti promotion radicale de l’auteur, « Les écrivains n’ont pas de corps ! » laissant en suspens la « responsabilité » comme le visage derrière ces mots et la voix derrière ces textes.
J’ai commencé à faire des performances il y a peu, quand je suis rentrée des États-Unis, de Los Angeles. Cela a peut-être un lien avec ce passage de l’autre côté, la paperasse et les multiples contrôles que j’ai eu à subir, dans la petite salle j’ai passé un sale quart d’heure avec l’agent qui baragouinait des questions en postillonnant sur mon passeport, c’est vrai, je commençais à être « une régulière » mais je respectais les délais, alors il ne pouvait rien faire. Ils ont vite fait checké mes dents et ont dit « ‘K » puis ils m’ont mise sur une sorte de tapis spécial qui m’a absorbée et propulsée mollement dehors, me trouvant enfin libre et à l’extérieur, totalement neutre ou neutralisée et ouverte à l’idée de me recréer, disposée même à parler dans ma langue vraie, l’américain, malgré tout ce que j’ai pu dire et écrire avant, et à dire vrai, à la limite du bégaiement.
Karl Holmvist, un auteur que j’aime beaucoup, disait dans une de ces performances : « How do I make myself a nobody ? » la phrase était forte car on pouvait à la fois comprendre « unknow body » ou « a no body » ou encore « a nobody » soit : un « corps inconnu », ou un « non-corps » ou encore « personne ». C’est un peu ce que j’ai ressenti en arrivant à Los Angeles puis en me promenant dans la ville à pied, j’épousais les trottoirs, ce qui pouvait d’un côté être salement connoté, alors que les trottoirs sont des éléments positifs d’un point de vue social en France, le trottoir c’est aussi le tout venant donc la médiocrité. À Los Angeles les trottoirs appartiennent aux clochards ou n’appartiennent à personne, j’en ai donc fait mon lieu d’intégration.
J’ai commencé à m’intéresser à la parole par delà ce que j’écrivais déjà, et peut-être un peu aussi, par opposition à l’écriture, une forme d’expression sacralisée par la culture de notre temps, à l’inverse, la parole est une activité physique (qui peut être pratiquée dans toutes les positions) mais aussi une forme d’expression souvent jugée incomplète, impure, voire ordurière, une esthétique sacrément liée au jugement, à Dieu ou au pouvoir d’un côté, mais surtout, un vieux machin qui commençait à me toucher.
La psychanalyse, en Suisse à l’époque, me coûtait trop cher, c’est elle qui m’a appris à parler, à l’inverse de ce que tu pourrais appeler par le nom de mère, la psychanalyse, en fait ça a été comme un trampoline pour l’autre monde, celui de l’instantanéité pure et de la vitesse. L’expérience personnelle, voire ta petite histoire, pouvait être mise à profit sur le billard, mais d’elle à moi, on savait bien que cela avait peu d’importance, ce qui comptait c’était la langue voire cet être étrange qu’est le langage, le but : que les champs de production de langage comme l’art ou la littérature ne soit plus extérieurs au sujet « I ». Mais je me suis mise à vraiment « parler » dans ma langue propre, clean, quand j’ai arrêté la psychanalyse, net, car l’adresse n’était plus la même.
Par contre, j’ai continué de m’intéresser à cette histoire de voix à la fois personnelle et habitée, une sorte de voix dissociée qui se produit quand on commence à décider de tout dire, sans presque laisser de blancs. Quand on parle on est inconscient, quand on écrit on est responsable, je ne voulais plus choisir, alors j’ai commencé à confondre, mais aussi à me confondre, car toi-même tu sais que la parole est la forme d’expression la plus à même de révéler la porosité des sphères publiques et privées, sans parler de la présence du corps, et quel corps ? L’élément à la fois sacré et souillé, unique et multiple, proliférant, une donnée indispensable tant au dialogue qu’à ses possibles dérives dramatiques.
Je ne pratique pas la performance comme un art mais plutôt comme une sorte de psychanalyse publique, j’en ai besoin, mais surtout, j’ai une mission.
Je pense que le corps, cette « économie » de la présence, produit du sens face à un public. C’est la donnée première de mon travail, si ce n’est un but, que de faire sentir la lisière entre la présence et la violence. Le lieu où se produira cette performance n’est pas encore fixé, j’aimerais que ça se passe dans une maison car alors je pourrais t’inviter comme si nous étions proches, depuis toujours, et nous ferons un beau feu.
s.s