EXPOSITION
DU 23 JUIN au 22 SEPT. 2013

Les Nouvelles Babylones

Lara Almarcegui, Pedro Cabrita Reis, Jordi Colomer, Jimmie Durham, Adelita Husni-Bey, Klara Lidén, Camille Llobet, Marjetica Potrc, Anri Sala, SUPERFLEX, Stephen Willats, Raphaël Zarka

 

« Les Nouvelles Babylones » regroupe une sélection internationale d’artistes dont les œuvres tentent une réappropriation de l’espace public, non à partir d’une idée abstraite et désincarnée de ce qui « devrait être », mais bien à partir d’un regard sur le réel et comment ce réel, par la force du jeu, de la poésie et de l’inventivité, peut toujours se redéfinir, se réinventer et se reconstruire.

Le titre de l’exposition propose une divagation libre à partir de l’œuvre éponyme New Babylon, un projet d’urbanisme visionnaire développé dans les années 60 par l’artiste et architecte Nieuwenhuys Constant, proche du mouvement situationniste. Partant du constat d’un urbanisme en péril, assujetti aux pouvoirs dominants du commerce et du travail, dans lequel l’individu meurt d’ennui et de solitude, Constant imagine une société libérée de l’aliénation du labeur et de la productivité. Il y développe le projet d’un nouvel « urbanisme fait pour plaire » où le jeu et le loisir sont au centre des préoccupations, et où l’homme peut enfin laisser exprimer sa créativité dans une ville littéralement dégagée de ses contingences matérielles car construite en élévation à la manière des jardins suspendus.

Mais surtout, l’exposition propose un dialogue avec Le Splendid1, une œuvre pérenne de Wilfrid Almendra, inspirée du seul élément tangible du New Babylon de Constant, Monument for Reconstruction construit de façon éphémère à Rotterdam en 1958.

Installée prochainement dans le parc du centre d’art, Le Splendid est une aire de jeux pour enfant dont l’élément central est la réactivation à échelle réduite de cet élément. Le Splendid répond ainsi à une double logique conceptuelle : matérialiser le symbole d’un idéal social, malmené aujourd’hui plus encore qu’hier, et proposer une réappropriation de cet idéal par le jeu.

Dans « La pensée sauvage », Claude Levi-Strauss désigne cette séquence « appropriation-détournement-réappropriation », qui est à l’œuvre dans le projet d’Almendra, sous le nom de bricolage, c’est-à-dire selon lui, la capacité qu’a l’homme, à partir d’éléments préexistants, de redé nir et reconstruire un monde à son échelle. Le préexistant, en l’occurrence, ce sont nos institutions économiques et politiques qui élaborent des stratégies de contrôle de l’espace en assignant à chacun et à chaque chose une place, un rôle et des produits à consommer. Mais en silence l’homme moderne élabore au quotidien des actes de résistance, une subversion de l’intérieur et de la base même du système, qui consistent en de micro-libertés souvent facétieuses face au pouvoir, par l’intermédiaire de ruses ou de procédures telles que les dé nit le philosophe Michel de Certeau dans son passionnant essai « L’invention du quotidien ».

Au travers de propositions plastiques fort diverses, les artistes des Nouvelles Babylones interrogent ces relations entre l’individu, le collectif et l’espace public. Sur ces sujets, leurs approches sont distinctes bien que complémentaires : certains artistes de l’exposition mettent en place des dispositifs et des actions dans et à partir du réel (Klara Lidén, Adelita Husni-Bey, Camille Llobet, Lara Almarcegui, Stephen Willats), d’autres documentent des expériences collectives (Raphaël Zarka, Anri Sala, Marjetica Potrc), d’autres encore utilisent la fiction comme vecteur de propositions alternatives (SUPERFLEX, Jordi Colomer) et certains enfin proposent des abstractions qui schématisent et formalisent notre rapport à l’espace public (Pedro Cabrita Reis, Jimmie Durham, Stephen Willats encore).

Documenter les défis à la gravité que proposent les skateurs en utilisant les sculptures de l’espace public comme terrain de jeu (Riding Modern Art de Raphaël Zarka), reproduire à échelle 1 des habitats auto-suf sants construits dans le désert du Nevada dans le seul but de faire la fête et de promouvoir une créativité débridée (Burning Man : Tensegrity Structure and Waterman de Marjetica Potrc), proposer une danse endiablée et libérée des conventions sociales dans le métro de Stockholm sous le regard médusé des passants (Paralyzed de Klara Lidén), amener un groupe d’enfants à concevoir et bâtir une ville à leur image (Postcart from the Desert Island de Adelita Husni-Bey)… Au-delà de leurs diversités, les artistes de l’exposition ont sûrement en commun la tentation de « redéfinir le rôle de l’artiste comme une figure active, pas uniquement un producteur d’objets, mais un générateur de dispositifs qui produit effectivement des alternatives sociales imaginaires ».2

À la suite de Constant, l’exposition « Les Nouvelles Babylones » spécule, dans un aller-retour permanent entre réalisme et utopisme, qu’une nouvelle configuration sociale, politique et urbanistique est un « rêve fantaisiste, réalisable du point de vue technique, souhaitable du point de vue humain et indispensable du point de vue social. »3 Cette citation de Constant résume à elle seule l’ambition de l’exposition – et ses contradictions internes.

Sandra Patron

1- Le Splendid de Wilfrid Almendra est un projet réalisé dans le cadre de l’action Nouveaux commanditaires proposée par la Fondation de France. Cette œuvre est une propriété du Conseil Général de la Nièvre cofinancée par la Ville de Pougues-les-Eaux.
2- La citation est de Adelita Husni-Bey, jeune artiste italo-libanaise présentée dans l’exposition.
3- La citation est de Constant pour qualifier son projet New Babylon.