Le Parc Saint Léger, Centre d’art contemporain est heureux de vous annoncer l’exposition personnelle de Sarah Tritz, L’œuf et les sandales, qui présente un ensemble inédit d’œuvres spécialement pensées pour le lieu et l’occasion, et qui sont agencées ici avec des pièces plus anciennes, dans une pratique de l’assemblage et de la composition – composition des images, des formes, des sensations, des références, tout à fait symptomatique de la démarche de l’artiste.
Le rapprochement inattendu que suggère le titre – car qu’ont à voir ensemble un œuf et des sandales ? Guère plus sans doute qu’un parapluie et une machine à coudre sur une table de vivisection* – ce rapprochement donc, met à jour le processus qui est à l’œuvre dans le travail de Sarah Tritz, où les combinaisons d’éléments disparates, tout à la fois familières et étranges, nous invite à nous libérer de formes, d’idées et de sensations statiques et normées. Chez Sarah Tritz, dans un même élan, l’abstraction côtoie la figuration, la renaissance italienne côtoie le minimalisme américain, le geste de l’artiste côtoie celui de l’artisan, les objets trouvés au hasard des ballades côtoient des sculptures pour certaines minutieusement élaborées, pour d’autres évacuées d’un geste quasi primitif. Les emprunts répétés aux artistes qu’elle aime et regarde – de Lucio Fontana à Eva Hesse, de Piero della Francesca à Öyvind Fahlström, ne sont pas à entendre comme un jeu de référence qui tendrait à démontrer une quelconque érudition, mais sont bien au contraire une façon pour l’artiste de proposer un exercice de regard personnel sur le travail de ces artistes qui se défierait de toute catégories normatives. Il y a chez Sarah Tritz un désir irrépressible de créer des formes qui naissent de la vie quotidienne et de ses songes, des nécessités du corps et de ses relations à l’environnement, que cet environnement soit son atelier, la rue ou les pages d’un livre sur l’art étrusque.
Sarah Tritz sculpte, dessine, créé des bijoux, imagine des affiches, mais ne nous y trompons pas, tout chez elle est prétexte à un travail autour de la peinture, de ses enjeux et de son territoire. En lectrice de Fontana et de son Manifeste blanc**, qui déclarait que « la toile n’est pas ou plus un support mais une illusion », Tritz opère à sa façon cette transition de la peinture vers son environnement. La peinture acquiert un rapport à l’espace et à l’architecture grâce à la sculpture, elle s’échappe, sort de son cadre, fait des fugues à la manière d’une adolescente, se pose un instant sur un muret carrelé, investit l’instant d’après une sculpture qu’elle vient orner comme une parure précieuse. La peinture n’existe plus seulement pour le regard de l’observateur qui s’abîme en elle mais au contraire s’ouvre largement aux hasards de son environnement non pictural, le travail invite par ce biais le spectateur à une promenade, une flânerie qui engage tout autant son corps que son imaginaire.
La question du corps est d’ailleurs centrale dans le travail : corps du spectateur on l’a vu, tour à tour happé, séduit ou désorienté ; corps de l’artiste suggéré par les gestes et empreintes que Sarah Tritz pose ici ou là au gré de ses installations, comme on poserait au gré de ses humeurs un bibelot sur la bibliothèque, corps de l’artiste encore par cette récurrence de la main et du pied qui renvoient à la pratique désuète de l’académie mais aussi plus simplement au plaisir du toucher et du faire ; corps des sculptures enfin, envisagées comme des figures, des sculptures littéralement habitées – de photos, de bibelots, de bijoux, mais également peuplées de fantômes, ces artistes qui hantent le travail et le nourrissent. Dans l’exposition L’œuf et les sandales Sarah Tritz propose entre autre une sculpture anthropomorphique monumentale librement inspirée d’un dessin d’Antonin Artaud, Totem (1946). Les dessins d’Artaud s’emparent de l’espace, y projettent textes, objets et fantômes d’êtres sur le papier. Les formes sont brutales, les corps malmenés, le trait est à la fois maladroit et étonnamment sûr, le papier est froissé, souillé, parfois gratté jusqu’à la perforation, le geste est essentiel, symbole d’une vie pantelante. De cette pulsion de vie qui se crie plutôt qu’elle ne s’énonce, Tritz s’inspire et nous propose dans une libre association d’idées une sculpture mi-homme mi-animal, qui agirait à la manière d’un protecteur d’une peuplade indigène, le peuple des formes. Et c’est peut-être ainsi qu’il faudra aborder l’exposition L’œuf et les sandales qui, selon les mots mêmes de l’artiste, est « comme une peinture éclatée et ouverte dans l’espace, incarnée par des volumes et des surfaces, peuplée de formes aussi bien anthropomorphiques qu’abstraites, essayant de préserver la perméabilité et les glissement entre ces catégories formelles et psychologiques. »***
L’œuf et les sandales. Je reviens à ce titre et je me laisse dériver au fil de l’exposition. On y croisera peut-être des sculptures fardées, des peintures abstraites et un chien-saucisse, on y croisera sans doute des formes en argile, une fresque murale et des murets tagués à la craie, on y croisera d’autres objets encore, plus ou moins sublimes, plus ou moins triviaux, entre lesquels des lignes seront tirées à main levée. Le trait tremblera.
Sandra Patron