Dans son ouvrage consacré aux liens qu’ont entretenu, au détour des années 1960, l’art et la science-fiction1, Valérie Mavridorakis souligne l’intérêt de Robert Smithson2 pour « la grise banalité de no man’s lands sablonneux, des jungles autoroutières, des ruines urbaines »3. Lecteur assidu de James Graham Ballard, Smithson trouve dans les récits de l’auteur anglais, et plus particulièrement dans ses descriptions désolées d’un monde post-industriel, une illustration parfaite de la notion d’entropie, dont il exploita les potentialités matérielles et fictionnelles à travers ses œuvres. L’entropie, ce terme emprunté à la thermodynamique, caractérise la perte d’énergie d’un système, un effet d’autodestruction lent et progressif entraîné par un état de surchauffe. Pour l’écrivain comme pour l’artiste, cette notion devint alors, dans le contexte nébuleux de la guerre froide, métaphorique de l’effondrement menaçant toute activité humaine.
The Promised Lawn, vidéo produite par Armand Morin dans le cadre de deux résidences passées en 2015 à Bibracte et à Marfa (Texas), trouve dans le passage entropique du temps le dénominateur commun réunissant ces deux sites éloignés de 9000 km et par 2000 ans d’histoire. D’un côté, sur les hauteurs du Mont Beuvray, l’ancienne capitale des Eduens désormais recouverte de forêt est devenue chantier de fouilles archéologiques. De l’autre, en plein désert du Chihuahua, la petite ville rurale – sorte de musée à ciel ouvert4 où planent encore des souvenirs de westerns – montre les premiers stigmates du déclin économique. À l’écran, aussi étonnant que cela puisse paraître, les paysages se confondent : l’aridité texane, les roches du Morvan recouvertes de mousses, les constructions en tôle et les maquettes des villas gallo-romaines… tout converge à ériger un ailleurs fictionnel, un hors-lieu et un hors-temps hantés par la mémoire des activités de l’homme.
Générant un cadre spatio-temporel trouble, Armand Morin établit une correspondance insoupçonnée entre deux civilisations qui, d’un bout à l’autre de l’histoire, et alors qu’elles semblent au pic de leur développement, connaissent une irrémédiable chute. À l’heure où la Terre subit les conséquences de plus en plus visibles des effets de l’anthropocène5, cette « pelouse promise » que nous annonce le titre de l’œuvre interroge l’irrépressible désir de consommation de l’être humain, transformant l’idéal pavillonnaire en catastrophe planétaire.
Franck Balland