Le Parc Saint Léger est heureux d’accueillir une nouvelle phase du projet Theatrum Botanicum une recherche au long cours d’Uriel Orlow qui s’enrichit à chaque occurrence. L’étude prend forme à travers des modes aussi divers que le film, la photographie, le son ou encore l’édition, pour construire une sorte de theatrum mundi qui place la botanique comme un acteur central du monde. Partant du double point de vue de l’Europe et de l’Afrique du Sud, l’artiste explore les liens entre l’écologie des plantes et la construction de l’identité nationale. Les plantes endossent ici les rôles d’acteurs, de témoins ou d’instruments œuvrant à l’organisation de l’espace, à la délimitation des frontières et, par conséquent, à l’établissement des territoires. Cet univers botanique permet ainsi de révéler ou de réévaluer des narrations politiques, sociales, économiques, mais aussi spirituelles.
L’exposition pose un regard sur l’histoire de l’Afrique du Sud, depuis la première vague de colonisation par les Néerlandais puis par les Britanniques, jusqu’au régime de l’apartheid et à la société contemporaine. L’histoire est reprise ici du point de vue des plantes en tant qu’agents de transmission, comme en témoigne la série de photographies qui donne son titre à l’exposition, dans laquelle les arbres sont choisis pour leur valeur de monuments témoins d’épisodes historiques précis. Ces arbres attestent aussi d’un modus operandi dans la colonisation des territoires qui passe par une forme d’inventaire des espèces indigènes et par une cartographie du terrain pour modifier le paysage primitif, tant de façon concrète que symbolique. La nomenclature et la classification des plantes relèvent d’un système et d’un contexte précis. Aujourd’hui, le système de Linné, qui classe et ordonne les espèces et qui est considéré depuis le 19e siècle comme la nomenclature standard, a fait disparaître les noms indigènes. Si la connaissance nécessite de nommer les choses, Uriel Orlow reconstitue, dans une installation sonore, un dictionnaire oral de plantes dans plusieurs langues d’Afrique du Sud, les sortant ainsi du système rationaliste européen pour leur redonner une valeur d’usage originelle et peut-être plus spirituelle.
Les plantes médicinales et l’herboristerie tiennent une place centrale dans le projet. L’installation vidéo est constituée de trois films, dont un présenté pour la première fois. Chacun traite à sa façon les implications économiques mais aussi politiques des usages des plantes et leur application dans la sphère médicale. À la vidéo Muthi qui montre les pratiques rurales et urbaines des herboristes proche du documentaire, font face The Crown Against Mafavuke (« La couronne contre Mafavuke ») et Imbizo Ka Mafavuke (« Le tribunal de Mafavuke ») deux vidéos qui soulignent, au contraire, le travail de la mise en scène, représentant deux formes de procès et de tribunal. Le tribunal qui est ici traité comme un théâtre, comme une autorité mise en scène et ritualisée. La première affaire prend place au Palais de Justice de Pretoria, où Nelson Mandela et ses camarades furent condamnés à la perpétuité et aux travaux forcés dans la prison de Robben Island. Le lieu n’apparait pas seulement comme un décor mais aussi comme un personnage symbolique dans ce procès des années 1940. L’accusation porte sur la pratique illégale de la pharmacie par un indigène qui se serait trop éloigné des traditions dans lesquelles on voudrait le cantonner. Le second procès, n’est pas moins ritualisé mais se détache de l’institution coloniale pour prendre la forme d’un théâtre populaire, d’un forum où sont exposés et débattus les problèmes de l’exploitation des plantes et des savoirs indigènes par les grands groupes pharmaceutiques dans notre monde globalisé. Si l’ensemble du projet s’ancre dans le contexte de l’Afrique du Sud, sa portée est plus générale, puisqu’à travers ces études de la botanique, Uriel Orlow nous parle des flux migratoires, de l’hybridation et de la pureté, toute relative, des espèces.
Catherine Pavlovic